Le monde céleste et le monde terrestre dans l'Annonciation et le Jugement Dernier

Publié le par Cheyenne Battelier

L'Annonciation de Melozzo da Forlì / Le Jugement Dernier de l’École des Pays-Bas méridionauxL'Annonciation de Melozzo da Forlì / Le Jugement Dernier de l’École des Pays-Bas méridionaux

L'Annonciation de Melozzo da Forlì / Le Jugement Dernier de l’École des Pays-Bas méridionaux

 

  Introduction :

 

  La peinture religieuse est utilisée avant tout pour transmettre les messages de la Bible mais la relation entre l'art et la religion reste complexe. Malgré cela, la religion va se servir de l'art afin de diffuser sa doctrine et ainsi convertir les fidèles qui à l'époque ne savent pas lire. La peinture restait donc un moyen efficace de transmettre les histoires bibliques. La religion est donc pendant tout le courant du Moyen-Âge et au Quattrocento, un thème très fidèle et très repris en peinture. Les artistes étaient ainsi au service de l'église, réalisant pour beaucoup des œuvres sur commande. L'artiste devait avant tout montrer dans ses peintures que le céleste était en communication avec le terrestre grâce au Christ et aux saints.

  Avec l'aide de plusieurs œuvres de l'Annonciation et du Jugement Dernier, deux thèmes repris à de nombres reprises, nous verrons comment le rapport entre le terrestre et le sacré était représenté dans la peinture religieuse. Nous verrons ainsi comment les artistes ont mis en œuvres leur art afin d'aider l'église à glorifier le christianisme.

 

  I ) Le terrestre et le sacré dans le commencement du christianisme : l'Annonciation.

 

  L'Annonciation est l'un des thèmes le plus important dans la religion chrétienne. Beaucoup d'artistes, surtout de la Renaissance, se sont penchés sur ce sujet. Mais comment mêler l'ange Gabriel, personnage céleste venu du ciel, à la terre où vivent de simples humains comme Marie, future mère de Jésus Christ ? De nombreux procédés vont être utilisé afin d'harmoniser ce thème selon les siècles.

 

  A) Les deux mondes séparés par une architecture :

 

  Au XVème siècle, les peintres comme Fra Angelico (1430, musée du Prado à Madrid), se sont essayés au commencement de l'histoire du Christ. Nous arrivons bientôt à la Renaissance et des nouveautés vont faire leur apparition. Ici, sur cette peinture, nous pouvons voir qu'elle est partagée en deux par une architecture. Les deux personnages sont donc ici séparé par une colonne. Celle ci montre bien la séparation entre le monde céleste, qui est l'ange annonciateur, puis le monde terrestre représenté par Marie. Cela montre bien que le céleste ne doit pas entrer en contact directement avec le terrestre. Le lien entre les deux se fait grâce au décor, de l'endroit où ils sont présents mais aussi par le biais de leur regard. Ce lien entre ces deux mondes est faible mais il y a tout de même une volonté de l'artiste de montrer que le céleste peut approcher le terrestre. Nous pouvons aussi voir que la couleur or est très présente sur l'ange, couleur qui symbolise le divin, la lumière. L'or est très utilisé dans la peinture religieuse du Moyen-Âge car celui ci est un métal précieux et il se conserve longtemps. L'or est présent sur l'ange mais aussi sur le tissu de la chaise de la Vierge. L'auréole au dessus de leur tête, signifie aussi la sainteté d'une personne. Ici, Marie, une simple terrestre, est représentée comme une sainte à par entière du monde divin car celle-ci recevra l'enfant de Dieu. Mais il y a tout de même une fine volonté de lier le divin au terrestre avec la présence de la colombe divine dans la partie de Marie. Le faisceau de lumière qui part du ciel et qui représente certainement Dieu, vient pénétrer l'architecture pour aller sur Marie. Ce faisceau représente la lumière de Dieu qui illumine la mère du futur messie. Cette lumière céleste est donc un des seuls éléments divin qui entre en contacte avec les mortels.

Fra Angelico, 1430, musée du Prado à Madrid, Espagne.

Fra Angelico, 1430, musée du Prado à Madrid, Espagne.

 

  Nous retrouvons les mêmes éléments la peinture de Lucas Signorelli les mêmes éléments que Fra Angelico. Une architecture sépare toujours les deux mondes.

Marie est ici enfermée dans une architecture très noble,enroulée dans un tissu bleu, la couleur de la Vierge. On a l'impression qu'elle est prisonnière de cette architecture alors que l'ange, se trouve dehors où, dans le ciel, nous pouvons apercevoir le monde céleste où se trouve Dieu. Derrière lui, au second plan, nous avons aussi la représentation d'un paysage. L'ange est beaucoup plus libre grâce à l'environnement dans lequel il se trouve. Ici, le lien entre les deux mondes est plus dur à trouver car aucun élément divin à part l'auréole, n'est présent dans l'architecture où se trouve Marie.

Seul le médaillon au dessus de laporte pourrait nous rappeler Dieu. Une fois encore, la colombe est présente entourée d'or. Mais cette fois, elle est représentée non pas du coté de la Vierge mais du coté de l'ange. Certes, le mouvement de celle ci montre qu'elle va entrer dans le monde terrestre mais elle n'y est pas encore.

Lucas Signorelli, 1491, Pinacothèque communale de Velterra, Italie.

Lucas Signorelli, 1491, Pinacothèque communale de Velterra, Italie.

 

  B) L'ouverture des deux mondes :

 

  En 1472, Léonard de Vinci se prête lui aussi à l'exercice de peindre l'Annonciation. Celui ci va se démarquer des autres peintres et rompre la séparation des deux mondes en supprimant l'architecture. Les deux personnages se retrouvent donc tout deux face à face, avec au delà un paysage presque divin. Il va même jusqu'à mettre Marie en haut et va faire agenouiller l'ange. Le monde terrestre devient ici supérieur au monde céleste. Le lien entre les deux se retrouve très bien grâce au regard de Marie sur l'ange.

Léonard de Vinci, 1472, Galerie des offices à Florence, Italie.

Léonard de Vinci, 1472, Galerie des offices à Florence, Italie.

 

  Federico Barocci va encore plus loin. Celui ci va peindre Marie et l'ange annonciateur à quelques centimètres l'un de l'autre. Ce rapprochement va montrer à quel point nous, simples humains, pouvons nous rapprocher du divin. Seulement un seul espace les sépare l'un de l'autre.

Le fait qu'il soit lui aussi dans une architecture montre que le divin peut entrer en contact avec les vivants. De plus, il intègre une figure que peu de peintre représente sur leurs tableaux : la représentation divine. Dieu qui, à cette époque ne devait être représenté, est ici placé au dessus de cette scène. Il observe les deux mondes qui entrent en contact. Ils sont aussi observés par des angelots placés entre Dieu et les deux protagonistes de l'Annonciation tout comme la colombe qui représente l'Esprit Saint.

 

Federico Barocci, 1592, Santa Maria degli Angeli a Perugia, Italie.

Federico Barocci, 1592, Santa Maria degli Angeli a Perugia, Italie.

 

  Beaucoup d'autres vont reprendre ces idées afin de peindre leur propre représentation de la fameuse Annonciation. Elles représenteront toutes Marie mais celle ci, dans les trois peintures ci dessous, est représentée le regard détourné. Ici, il n'y a plus de contact visuel avec l'ange annonciateur.

 

  Sur la peinture de Le Caravage, on ne voit même pas le visage de l'ange. Celui ci est caché par son bras. Il y a peut-être, derrière cette volonté, de montrer que les anges sont des êtres qu'on ne peut représenter car ils sont avant tout des êtres divins.

  Le tableau de Le Jeune est le seul ici à reprendre le symbole de la colombe, de l'Esprit Saint qui descend chez les mortels afin de donner la foi. Celui ci est très coloré et va amener d'autres personnages, comme les petits angelots, sur le décor.

  Le tableau de Burne Jones est présent nos deux personnages comme sur tous les autres tableaux. Mais celui ci, montre une vierge habillée de blanc, alors qu'il est bleu sur les autres oeuvres, détourne le regard de l'ange annonciateur qui lui, la regarde de haut. Cette modernisation de la peinture permet aux fidèles de s'y identifier plus facilement.

 

  Sur ces trois tableaux, la couleur or est moins présente, le symbolisme de la scène est moins présent. Cette absence peut être dû à la volonté de banaliser la scène afin que toutes femmes attendant un enfant s'identifient à Marie et pensent qu'elles vont à leur tour donner naissance à un enfant de Dieu, à un fidèle de Dieu.

 

Le Caravage, 1608, Musée des Beaux-Arts à Nancy, France / Le Jeune, 1619, Musée des Beaux-Arts de Nancy, France / Burne Jones, 1887, Norfolk Museums Service, Grande-Bretagne
Le Caravage, 1608, Musée des Beaux-Arts à Nancy, France / Le Jeune, 1619, Musée des Beaux-Arts de Nancy, France / Burne Jones, 1887, Norfolk Museums Service, Grande-Bretagne
Le Caravage, 1608, Musée des Beaux-Arts à Nancy, France / Le Jeune, 1619, Musée des Beaux-Arts de Nancy, France / Burne Jones, 1887, Norfolk Museums Service, Grande-Bretagne

Le Caravage, 1608, Musée des Beaux-Arts à Nancy, France / Le Jeune, 1619, Musée des Beaux-Arts de Nancy, France / Burne Jones, 1887, Norfolk Museums Service, Grande-Bretagne

 

  Mais le peintre Henry Ossawa Tanner, peintre américain du XIXème siècle, peint une autre version de l'Annonciation en 1898. Nous pouvons constater que cette scène est différente de toutes les autres que nous avons pu voir précédemment. La forme très lumineuse à gauche représente ici l'ange annonciateur. Au delà de Caravage, Tanner n'a pas voulu donner de corps à cet être divin. Le lien entre le monde terrestre et le monde céleste ici est très vaste. Nous pouvons presque nous demander ce que cette peinture représente. Rien ne nous laisse entendre que cette scène représente l'Annonciation. Cette tâche colorée peut nous laisser croire que ceci est une apparition, un spectre. Il reprend ici la volonté du Caravage, du fait qu'il ne faut pas représenter les êtres divins. Ici, ni ange, ni colombe ne sont représentés. Le rapport terrestre et divin est donc très difficile à imaginer.

 

Henry Ossawa Tanner, 1898, Musée des arts à Philadelphia, USA.

Henry Ossawa Tanner, 1898, Musée des arts à Philadelphia, USA.

 

  De nombreux liens comme la colombe ou la lumière divine viennent renforcer le lien entre le céleste et le sacré. Mais des liens entre les deux sont eux aussi apparent dans d'autres peintures, dans d'autres sujet de la religion comme la naissance du Christ ou sa crucifixion ou bien, comme nous allons le voir, le Jugement Dernier.

 

  II ) Le terrestre et le sacré dans Le Jugement Dernier.

 

  Nous entrons maintenant dans le Jugement Dernier. Cette scène, souvent peinte par les artistes, représente le jugement des âmes par l'archange Michel après la mort afin de déterminer si l'âme est assez pure pour aller au Paradis ou souillée ce qui amènera l'âme en Enfer. Il se situe dans le chapitre 20 de l'Apocalypse de St-Jean dans le Nouveau Testament. De plus, la religion chrétienne fixe symboliquement le jour du jugement le 25 mars qui est aussi le jour de la fête de l'Annonciation. Dans la croyance chrétienne, le Jugement Dernier est un épisode très symbolique car c'est à ce moment que les âmes sont jugés. Nous allons voir comment les peintres ont fait afin de lier le monde divin, sacré et profane, au monde terrestre.

 

  Nous commençons tout d'abord avec cette représentation du jugement dernier peinte au cours du Moyen-Âge, probablement à la fin de celui ci de Maestro de Artès. Sur cette oeuvre, nous pouvons voir quatre parties.

La partie centrale qui représente un moine qui prie avec à l'arrière un décor, un paysage terrestre. Puis, de chaque côté de celui ci, nous deux parties bien différentes. Du coté gauche, il y a ce qui pourrait être le Paradis, puis du coté droit, les Enfers. Pour finir, il y a la partie du haut qui représente le siège du Christ.

Nous voyons sur cette peinture que ces quatre parties sont délimitées. Prenons d'abord la partie centrale. Le prêtre présent est entouré d'une architecture. Cette architecture l'enferme ainsi qu'une grande partie du paysage terrestre. Ce paysage terrestre se continue dans la partie de droit qui est celle des Enfers. Il continue aussi mais que très peu dans la partie de gauche qui est le Paradis. Nous pouvons donc penser que cette peinture nous montre que nous sommes plus proches de ces deux mondes que celui où se trouve Jésus ainsi que ses saints. Si nous regardons bien, nous pouvons dire que le tableau ne présente que seulement deux parties. Une, inférieure, avec les mondes après la mort et le monde des vivants, et une supérieure où se trouve Jésus. Le rapport entre le monde céleste et le monde terrestre n'est donc pas rompu ici. Ils sont séparés par une muraille de pierre où seul les saints peuvent entrer.

Maestro de Artès, M-Âge, Musée des arts de Sao Paulo, Brésil / DétailMaestro de Artès, M-Âge, Musée des arts de Sao Paulo, Brésil / Détail

Maestro de Artès, M-Âge, Musée des arts de Sao Paulo, Brésil / Détail

 

  Alors qu'ici, il est présenté sous forme de retable peint par Hans Memling entre 1467 et 1471.  Ce retable est composé de trois parties. Comme dans la précédente peinture, le Paradis est présenté à gauche du panneau central et les Enfers du côté droit. Le lien entre ces trois panneaux est fait par le biais des humains qui entrent dans ces deux mondes. Sur le panneau central en bas, nous avons l'archange Michel présent sur Terre afin de peser les âmes afin de les juger et de les envoyer au Paradis ou en Enfer. Sur cette partie du bas, le monde terrestre et le monde céleste cohabitent. Nous pouvons apercevoir à droit de l'archange des démons, ainsi qu'à sa gauche où un ange et un démon se disputent un humain. L'archange Michel est représenté ici supérieur aux humains par sa grandeur mais aussi par son rôle de juge. Cette scène apocalyptique est surplombée par un flot de personnages qui eux, se situent sûrement dans le monde céleste, aux côtés du puissant Jésus Christ. Une fois les âmes jugées, elles sont envoyées vers la droite, les Enfers, où les démons les emmènent dans les flammes; ou vers la gauche, le Paradis, où les anges les accueillent en fanfare.

Hans Memling, entre 1467 et 1471, Musée Narodowe à Gdrańsk, Pologne.

Hans Memling, entre 1467 et 1471, Musée Narodowe à Gdrańsk, Pologne.

 

  Mais il y a d'autre retable, comme celui peint par Jean Bellegambe. Ce retable est lui aussi découpé en trois panneaux qui sont eux aussi disposés de la même façon que celui de Memling. Jésus est toujours situé en hauteur, surplombant la Terre où anges et démons essaient de ramener le plus d'âmes possible. Cette fois, l'archange Michel ne se trouve plus au centre du tableau. Les deux mondes célestes et le monde terrestre ne sont pas ici délimités par une quelconque architecture ou autre. Ici, Enfers, Paradis et terrestre sont au même niveau dans une atmosphère de désordre totale qui montre bien que ces trois mondes sont en guerres, empreint à des violences sans fin. Cela rappelle que nous sommes des êtres mortels et que même après la mort, nous ne pouvons atteindre le monde de Jésus, le monde de Dieu.

Jean Bellegambe, Musée Staatliche à Berlin, Allemagne.

Jean Bellegambe, Musée Staatliche à Berlin, Allemagne.

 

  Le peintre Jean Cousin va peindre en 1585 lui aussi ce thème où les limites Enfer, Terre, Paradis ont totalement disparu comme dans la peinture de Bellegambe. Cela le place au delà des autres peintres avant lui. Ici, aucune architecture ni même de panneaux vient enfermer ces trois mondes. Ces trois là sont représentés ici ensemble comme pour nous montrer que la Terre n'est qu'en fait un mélange d'Enfer et de Paradis. Comme toujours, cette scène de bataille est surmontée par le monde divin de Jésus accompagné des saints et autres personnages divins.

Jean Cousin, 1585, Musée du Louvre à Paris, France.

Jean Cousin, 1585, Musée du Louvre à Paris, France.

 

  Le célèbre peintre Michel-Ange va se démarquer en présentant une peintre religieuse où tous les personnages sont représentés nus. La célèbre fresque peinte au Vatican sur ordre du Pape Clément VII va faire scandale quand les gens vont la découvrir. Par rapport aux nombreuses peintures religieuses déjà connues, aucun peintre avant Michel-Ange avait présenté ses personnages nus, surtout que ceux ci, pour la plupart, sont des saints, des personnages présents dans la Bible. Il va même jusqu'à représenter Jésus au centre entièrement dénudé. Tous, plus de 400 corps, sont dévêtus. Il y a ici une volonté de Michel-Ange de montrer que les personnages divins sont avant tout des personnes humaines comme ceux qui se trouvent au sol. Le lien entre le céleste et le terrestre n'est pas ici délimité si ce n'est encore que la partie céleste, celle de Jésus, est représenté en haut alors que celui des morts se situe en bas. Ces emplacements montrent que même mortels, même si nous finissons au Paradis, aucun humain ne peut atteindre Jésus.

Michel-Ange, chapelle Sixtine au Vatican, Italie.

Michel-Ange, chapelle Sixtine au Vatican, Italie.

Rogier van der Weyden, 1443-1452, Hospices de Beaune, France / Jérome Bosch, 1480-1520, Musée Groeninge de Bruges, France.
Rogier van der Weyden, 1443-1452, Hospices de Beaune, France / Jérome Bosch, 1480-1520, Musée Groeninge de Bruges, France.

Rogier van der Weyden, 1443-1452, Hospices de Beaune, France / Jérome Bosch, 1480-1520, Musée Groeninge de Bruges, France.

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